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Tomi Ungerer, « En fait, le problème avec la mort vraiment, c’est les gens que vous laissez derrière »

Tomi Ungerer n’avait pas peur de la mort. Ce n’est pas pour autant qu’il n’avait peur de rien. La peur était un peu comme le sel des histoires qu’il écrivait pour les enfants.

Issu d’une région qui a le cul entre deux chaises, dans son enfance il observe les nazis brûler des livres français pendant la seconde guerre mondiale, puis les français brûler des livres allemands à la libération. « Strasbourg est le sphincter de la France et nous somme les premiers à savoir quand la France a une indigestion. » Affirmait-il à propos de sa ville natale. Tomi Ungerer brandissait l’humour et l’irrévérence comme une arme contre l’absurdité de la guerre, du monde et des adultes, et répétait qu’« Il faut traumatiser les enfants si vous voulez leur donner une identité ».

Son œuvre aux multiples facettes en est la preuve la plus éclatante.
Lorsqu’il débute sa carrière, à New-York en 1956, après avoir exploré la France à vélo et le reste du monde n’importe comment, il est rapidement connu comme « the condom man » (l’homme aux préservatifs), à cause du carton de la marque Trojan dans lequel il transporte ses dessins. Il dessine pour de nombreux magazines, et publie quatre-vingt livres pour enfants en l’espace de 10 ans.

Ce qui l’intéressait, c’était le no man’s land entre le bien et le mal. « Un no man’s land n’est pas un endroit où on doit s’entretuer, mais où on peut se rencontrer » disait-il. Convaincu que le bien et le mal ont beaucoup à apprendre l’un de l’autre, il créait des héros dans cet entre-deux, décidé à donner aux enfants le goût de la vie, « même si elle a mauvais goût ».

Le dessin comme une soif inextinguible ou une envie de pisser,  Tomi Ungerer a développé en même temps une œuvre prolifique de dessin satirique où la France, l’Allemagne, l’Amérique et le capitalisme occidental en prennent tour à tour pour leur grade (The underground sketchbook, The Party…).
Avec la colère comme moteur, il produit des affiches politiques violentes, justes, efficaces.

« Avoir juste l’étincelle ne suffit pas, il faut de l’essence pour que l’étincelle serve à quelque chose » affirmait-il à propos de ses affiches contre la guerre du Viêt Nam.

Amoureux du corps féminin en général, et amateur de fesses en particulier -qu’il décrit comme « un sourire que l’on peut tenir dans ses mains »-, il n’a cessé de faire rougir et sourire à travers ses dessins érotiques et de bousculer l’Amérique puritaine. Attaqué sur son ouvrage érotique Fornicon lors d’une convention d’éditeurs sur le livre pour enfant, il rétorque « si les gens ne baisaient pas, il n’y aurait pas d’enfant, et sans enfant vous n’auriez pas de travail ». Ce qui lui vaut de se faire blacklister par les bibliothèques, et interdire la publication de l’intégralité de son œuvre jeunesse aux États-Unis.

Ambassadeur de la réconciliation franco-allemande et défenseur du patrimoine alsacien, à 80 ans passés Tomi Ungerer continuait de dessiner des fesses et des animaux, de torturer des poupées Barbies pour en faire des sculptures, et de faire des plaisanteries bien senties sur les moments sombres de sa vie.
Insolent et philosophe, c’est à lui que doit revenir le mot de la fin :

« C’est l’inconnu, c’est ça qui est vraiment fantastique à propos de la mort. La mort doit être bienvenue. Et quand je mourrai, je découvrirai ce qu’il y a après. Peut-être qu’il n’y a rien, mais le rien c’est tout aussi fantastique ! Parce que si vous êtes en face de rien, vous pouvez le remplir avec votre imagination! »

Propos extraits du documentaire « Far Out isn’t far enough, the Tomi Ungerer story » – Brad Bernstein, 2012